Conception de l’affiche : Manuel Marsoudet et Maxime Marois
L’Etre-ange
En évoquant le titre de cette conférence auprès d’un ami philosophe, il m’a dit : « c’est intéressant mais quel est le rapport avec l’architecture ? ». J’ai compris que je me suis laissé piéger par le plaisir des mots aux sens multiples. Effectivement, cela n’a rien à voir avec ce que l’on attend d’une conférence, et je m’en excuse. Il va falloir trouver une explication à ce jeu de mots, et je n’aime pas les explications.
Je me souviens de John Hejduk évoquant les anges, il en dessinait et réfléchissait à leur représentation en s’intéressant particulièrement à la transition entre la peau et les plumes, ce passage délicat où la peau se transforme en duvet. Les anges de ses dessins étaient présents dans l’étrange communauté qui habitait ses bâtiments. John Hejduk avait une grande connaissance de la littérature et du théâtre, il aimait en parler. Dans ses dessins et ses textes, il évoquait des rapports humains où se déroulaient parfois des drames ou des rites étranges. Ses « masques » – c’est ainsi qu’il nommait ses projets – étaient des scènes de théâtre, ses bâtiments des représentations symboliques de la tragédie humaine. On y trouve pêle-mêle, les Voûtes, des Images Mortes, des Chambres de Deuil, la Tour de la Trahison, celle des Sectes Révélées, la tombe d’Abel ou les Jardins de la Mort. Ses projets sont aussi des récits où ses anges étaient souvent déchus et quelquefois crucifiés. John Hejduk disait : « l’architecture est ce qui touche l’esprit, ce qui ne touche pas l’esprit est la construction ».
Alvaro Siza est aussi un dessinateur d’anges, les siens survolent les villes comme s’ils les regardaient du ciel, avec bienveillance. Ses anges semblent flotter sans peser, ils regardent sans intervenir, ils sont contemplatifs. Ils sont à la fois les spectateurs et peut-être les inventeurs d’un monde qui se dessine sous leurs yeux. Ils semblent être détachés et impartiaux. Ils ne représentent ni le bien ni le mal, ils sont à l’écoute d’un monde en train de se faire. Ils sont étranges et étrangers, ils regardent la scène à distance. Pourtant les anges de Siza ne sont pas les annonciateurs d’un monde à venir, et encore moins les gardiens. Ils en sont les architectes muets.